vendredi 27 novembre 2009

la loi Debré a 50 ans--Bilan

La loi Debré 50 ans après, l'heure du bilan
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50 ans, c'est un temps raisonnable pour établir un bilan...

Il va se trouver des gens qui se disent laïques pour faire l'éloge de cet acte politique et idéologique, y voir un acte d'"apaisement" de "réconciliation"...Alors que la loi du 31 décembre 1959 était l'aboutissement d'une reconquête; qu’elle était et demeure un acte de rupture avec les valeurs républicaines.

L'aboutissement d'une reconquête
Il faut mettre cette loi en perspective. Elle est en effet le point d'arrivée des efforts conjugués de l'Eglise Catholique et de ses alliés, les partis de droite, pour reprendre ce que la République leur avait enlevé avec les lois Ferry, Goblet et surtout la loi du 9 décembre 1905,la maîtrise et le contrôle séculaires de l'enseignement de la jeunesse, le pouvoir de conformer les esprits comme ils en avaient la prétention et l'habitude.

Janvier 1910...Après 5 ans d'escarmouches, les partis de droite passent à l'acte en déposant un projet de loi instituant la "répartition proportionnelle scolaire", c'est à dire le financement des établissements privés en fonction du nombre d'élèves. Les députés républicains rejettent ce projet au nom de l'unité de la Nation, de l'égalité des enfants devant l'instruction et du devoir de l'Etat d'y répondre avec une école laïque ouverte à tous .La République répond par un principe conforme aux lois de 1886 et de 1905 : " à l'école publique, fonds publics; à l'école privée, fonds privés"
Pendant 30 ans, l'Eglise Catholique et les partis de droite reviennent à la charge en associant à leur demande de financement de l'enseignement privé des campagnes de dénigrement de l'école laïque
Juillet 1940, en plein marasme, le Maréchal Pétain donne une première satisfaction à l'Eglise Catholique et son régime entame une politique hostile à l'école laïque
1944...Dès la libération du Pays, les deux partis de droite, MRP et RPF, prennent le relais. Ces partis, au pouvoir, soutiennent les campagnes de calomnie contre l'école laïque et les actions, y compris illégales, qu' initient les organismes de l'Eglise Catholique pour réclamer le financement de leurs écoles par l’Etat. En même temps, ils, restreignent les moyens de fonctionnement de l'enseignement public.
En 1951, ils parviennent à leurs fins en faisant voter, dans des conditions détestables eu égard aux règles démocratiques, les deux premières lois de financement de l'enseignement privé les lois Marie et Barangé.
C'est disent-ils " la brèche par laquelle le reste doit passer"
31 décembre 1959, le reste passe..L’Etat passe contrat avec les établissements privés, dans les faits avec la hiérarchie Catholique. Avec les lois successives (Pompidou, Guermeur, hier Carle), les établissements contrôlés par celle-ci sont financés par l’Etat avec une « égalité » qui leur est profitable par rapport à l’enseignement laïque. La « répartition proportionnelle scolaire » est acquise. On la nomme aujourd’hui « parité »

1910/1960… 50 ans d’une guerre impitoyable menée par l’Eglise Catholique et ses alliés les partis de droite, une guerre où tous les moyens sont bons, où tous les coups sont permis contre une école laïque vilipendée, insultée, maltraitée par ces partis quand ils sont au pouvoir.
Et dans quel but ?

Un acte de rupture

En votant cette loi Debré, la droite libérale vidait de son sens la loi du 9 décembre 1905 de séparation des Eglises et de l’Etat, fondatrice de la République laïque ‘ démocratique et sociale que les autorités religieuses n’ont jamais acceptée. Elle en attaquait les fondements.
On peut en dresser le bilan
La voie ouverte au communautarisme
En établissant des contrats entre l’Etat et des entités dont l’originalité était leur « caractère propre », donc ce qui les différencie dans la société, la droite rompait avec le principe essentiel de la République l’égalité des droits entre les citoyens. Plus exactement, elle en substituait un autre, l’égalité entre des communautés différentes par la religion, les traditions, la langue, le niveau social ……
La République avait construit une école où tous les enfants seraient traités à égalité, auraient accès à un savoir universel. La droite cléricale finançait sur l’argent de tous des écoles particulières.
Dans leur revanche, l’Eglise Catholique et cette droite oubliaient qu’ils n’étaient plus seuls. Pourtant mis en garde depuis 1951, ils ouvraient la boîte de Pandore
Voici des éléments comparatifs établis selon des sources incontestables (statistiques ministérielles et sites des entreprises privées d’enseignement) sur deux années, 2001 et 2009 et pour les seuls établissements sous contrat du premier et du second degré.
Ecoles juives En 2001 20105 élèves. En 2009, 38 000 pour 256 établissements
Ces écoles fonctionnent dans une communauté particulièrement fermée. comme l’avait souhaité il y a 20 ans le rabbin Sitruk
Ecoles protestantes Non apparentes en 2001 En 2009,8 écoles pour 2 760 élèves.
Ecoles régionales ( basques, bretonnes, catalanes, occitanes). En 2 001, 88 établissements sous contrat pour 6487 élèves. En 2 009, 210 établissements pour
12 012 élèves.
Ecoles catholiques . C’est le plus fort contingent (1961037 élèves) soit 95% de l’ensemble selon ses dirigeants. Une participation stable représentant 17% de la population scolaire d’ensemble On devrait dire plutôt « écoles sous contrôle et gestion de l’Eglise Catholique » car il semble que des établissements se banalisent, leur « caractère propre » s’atténuant malgré le rappel de la Hiérarchie Catholique à l’exigence missionnaire Cette possible mutation ouvre des perspectives nouvelles de singularité.
Avant d’y revenir, il faut noter la présence de 5 établissements musulmans ; ils étaient 3 en 2 001. Ils sont hors contrat à l’heure actuelle. Quelles sont les intentions de leurs dirigeants, l’UOIF surtout, que les déclarations de M. Sarkozy ne peuvent qu’encourager ? Préfèrent-t-ils garder leur indépendance et contraindre l’école laïque par leurs exigences (tenue, matières d’enseignement- nourriture), c'est-à-dire imposer leur vie communautaire au sein du service public ?
Il est évident que le jour où ils décideraient de demander le bénéfice de la loi Debré et de celles qui l’ont « améliorée », rien ne pourrait s’y opposer.

Constat: de l’évolution des établissements privés sous contrat se dégagent deux tendances. Une partie progresse, où le caractère propre – religieux ou régionaliste- est nettement affirmé. L’autre partie, de loin la plus importante, que gère l’Eglise Catholique, paraît plus ouverte, moins exigeante quant à son particularisme. et ses critères de recrutement Un autre clivage apparaît, de nature sociale. Et une autre forme d’inégalité. Les campagnes de dénigrement de l’école laïque aidant, des parents n’inscrivent pas leurs enfants dans ces écoles pour leur option religieuse, mais pour les soustraire à la « promiscuité des enfants du peuple », par définition mal élevés, pour être entre gens de bonne compagnie. La suppression de la carte scolaire doit permettre l’accélération du clivage. A l’école privée, les classes aisées ; à la laïque le reste..
Encore que….Prend corps depuis quelques années dans le camp ultralibéral une tentation , celle de privatiser ce qu’il restera d’intéressant dans la « laïque ».
Est-ce dans cette perspective qu’ une personnalité comme M. Bruno Poucet estime que la loi Debré « n’a pas encore épuisé toutes ses vertus » car à terme il ne devrait y avoir qu’ « une seule école pluraliste où la place des familles spirituelles, politiques etc, serait reconnue » M. Philippe Nemo, autre éminente personnalité qui avec MM Darcos, Bourgeois, Lemoine a initié un mouvement « Créateurs d’Ecoles », aujourd’hui « SOS Education », ne dit rien d’autre : « Les familles qui ont des savoirs différents, des échelles de valeur différentes, des choix politiques différents, des genres et des styles de vie différents, des projets professionnels différents, ne peuvent admettre pour leurs enfants une école enseignant à tous le même programme »

C’est donc clair. Voici ce que laisse entrevoir la brèche ouverte avec la loi Debré. Non à l’égalité de la jeunesse devant la connaissance. ! Non à la fraternité vécue dans une même école dès l’enfance !

Et cela au nom de la liberté ? Parlons-en

Quelle liberté de l’enseignement ?
Il faut démasquer la supercherie sur laquelle s’appuient Eglise Catholique et partis de droite depuis près de deux siècles, en jouant avec le sens de cette expression.
Elle comporte trois significations, la liberté de créer un établissement d’enseignement privé, la liberté, pour toute personne ou officine, d’enseigner ; la liberté des connaissances enseignées, leur indépendance, que Condorcet nommait l’enseignement universel.
S’agissant des deux premières acceptions de l’expression, la question a été tranchée au début du 20ème siècle. On n’y reviendra pas ici Cette liberté existe.. Si elle n’a pas été retenue, fort justement, comme un principe constitutionnel, aucun texte législatif, aucune velléité ne la remettent en cause. Il faudrait pour cela imposer un monopole de l’enseignement public .Il n’en est pas question… Quand le parti clérical hurle aux liberticides, il abuse l’opinion. La manifestation du 24 juin 1984 était un détournement de sens ; l’existence des établissements privés n’était pas en cause. Leur financement par l’impôt de tous oui.
On assiste là à un curieux raisonnement.qui est un autre détournement de sens. Parce que des entreprises privées d’enseignement devraient revenir à une situation logique, leur financement privé, on crie contre le « monopole de l’enseignement public » ! M. Debré, oubliant son devoir de réserve de Président du Conseil constitutionnel, déclare, quelques jours avant la décision de celui-ci sur la loi « Carle » : »Lorsqu’une liberté doit être aidée pour subsister, refuser cette aide, c’est refuser cette liberté » C’est inquiétant d’entendre à ce niveau confondre les notions de liberté et de droit. Défendre les libertés n’a jamais entraîné le droit pour chaque individu, ou organisme, de se voir garantir matériellement chacune de ces libertés..La liberté de la presse étant une liberté fondamentale, pourquoi tant de journaux en difficulté, pourquoi quiconque voulant créer son propre journal, ne prendrait-il pas M. Debré au mot et demanderait – et obtiendrait évidemment- le bénéfice d’une loi Debré bis qui, par « contrat d’association lui garantissant son caractère propre », lui assurerait le financement intégral de son journal par l’Etat ?
Pourquoi ne pas demander –et obtenir- ce bénéfice pour d’autres libertés aussi fondamentales comme la liberté de se déplacer, la liberté d’association ( je crée une association ; plus de cotisation ; c’est l’Etat qui paie…) ?
Le financement par l’Etat des établissements privés d’enseignement n’est pas un soutien à une liberté qui n’est pas menacée ; c’est un privilège.

Voyons le troisième sens de la liberté de l’enseignement, l’indépendance de l’enseignement des connaissances..Comment pourrait-elle être compatible avec le « caractère propre » d’un établissement. On se doute bien que les établissements répertoriés plus haut existent pour transmettre des enseignements qui leur sont particuliers. C’est bien l’apanage de l’enseignement laïque de ne subir aucune restriction de ce genre, aucune contrainte idéologique. La liberté de ce qui est enseigné est étrangère à tout endoctrinement .De ce point de vue, la seule école libre est l’école laïque.
N’est-ce pas la raison du mauvais procès dont ses adversaires l’accusent.
Ecole de l’Etat, elle serait au service de l’Etat..Pire, ses enseignants diffuseraient des théories « socialistes ».
C’est l’argument répétitif des pourfendeurs de l’école laïque pour justifier leur credo du pluralisme. Pour eux, école d’Etat égale monopole d’Etat égale endoctrinement de la jeunesse. Ils ne manquent pas d’audace. Le monopole d’Etat, l’endoctrinement de la jeunesse existent dans les dictatures. Je conseille à ces inquisiteurs d’un nouveau genre d’aller consulter les livres scolaires de l’Espagne franquiste, de l’Allemagne nazie. Ils verront ce qu’est le monopole d’Etat et l’endoctrinement de la jeunesse. L’école laïque s’enorgueillit d’enseigner Péguy comme Camus, Copernic, Darwin, comme Einstein..Elle est hermétique aux pressions politiques, aux options idéologiques. Cela n’est pas son rôle. Ces inquisiteurs oublient une chose essentielle, probablement parce qu’elle ne peut leur venir à l’esprit. C’est que l’enseignant laïque de l’Ecole Laïque laisse au vestiaire ses opinions, ses engagements quand il rentre en classe ; qu’il y est comptable de ses actes devant les élèves d’abord, leurs parents et son administration qui juge son travail ensuite

Que peut donc bien cacher cette hargne mensongère des adversaires de l’école laïque ? Que masque en réalité ce privilège accordé aux enseignements privés auquel Eglises et partis de droite sont si attachés ? Ils l’ont écrit. Désarticuler cette école laïque qui a installé et pratiqué l’égalité et la fraternité dans les forces d’avenir de la Nation
L’apothéose de la loi Debré ne serait-elle pas la destruction de l’Ecole de la République, et par là, celle de la République laïque, démocratique et sociale ?
La loi Debré serait « porteuse d’avenir » ? De cet avenir-là certainement

Guy Georges
26/11/2009

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